né à Tours,Indre-et-Loire, le 24 juin 1923, est un poète et essayiste français. Il est l'auteur d'une œuvre importante, poétique aussi bien que théorique, qui interroge sans relâche les rapports qu'entretiennent le monde et la parole.
Le père d'Yves Bonnefoy est ouvrier-monteur aux ateliers des chemins de fer Paris-Orléans, et sa mère est infirmière, elle deviendra plus tard institutrice. Il a une sœur aînée, prénommée Suzanne. Jeune, Bonnefoy passe à Tours des années mornes, pendant lesquelles il va souvent en vacances à Toirac, dans le Lot, chez ses grands-parents maternels ; lieu qu'il qualifiait de lieu d'exil: « le vrai lieu ». En 1936, la mort de son père bouleverse profondément sa vie. Il a alors 13 ans, et, désormais, il n'ira plus en vacances à Toirac, mais restera chez lui à étudier. Il effectue ses études secondaires au Lycée Descartes de Tours, passe un baccalauréat de mathématiques et de philosophie, puis s'inscrit en classes préparatoires à Tours (mathématiques supérieures et mathématiques spéciales). Il commence des études supérieures de mathématiques à l'Université de Poitiers, puis à la Sorbonne, à Paris, où il s'installe en 1944. Depuis cette date, il effectue de nombreux voyages, en Méditerranée et en Amérique.
De 1943 à 1953, il abandonne l'étude des mathématiques, pour se consacrer à la poésie, la philosophie et l'histoire de l'art. Il se lie tout d'abord au surréalisme, ayant lu la Petite anthologie du surréalisme de Georges Hugnet, et après sa rencontre avec Christian Dotremont, avant de s'en détacher en 1947, critiquant la gratuité de l’imaginaire surréaliste. En plus du surréalisme, ses principales influences sont Charles Baudelaire, Arthur Rimbaud, Stéphane Mallarmé et Gérard de Nerval, qui ont accompli selon lui « la véritable révolution poétique de notre modernité ».
Par ailleurs, Yves Bonnefoy est l'auteur de nombreuses traductions (principalement anglaises), notamment de Shakespeare. Depuis 1960, il est invité par de nombreuses universités, françaises et étrangères, et, en 1981, il est nommé à la chaire d'Études comparées de la fonction poétique au Collège de France, où il enseigne jusqu'en 1993. Son recueil Les Planches courbes, paru en 2001, est considéré comme un chef d'œuvre ; trois des sections de ce recueil figurent au programme des cours de littérature des classes de Terminale littéraire pour les années scolaires 2005-2006,2006-2007: Dans le leurre des mots, La Maison Natale et Les Planches courbes, section en prose (que l'auteur qualifie de récit en rêve) qui a donné son nom au recueil.
Commentaires sur l'œuvre
La Présence
Bonnefoy est considéré comme un « poète du lieu et de la présence », aux côtés d'André du Bouchet et Philippe Jaccottet, entres autres. La Présence est, selon lui, l'expérience immédiate, pure et unie du monde, telle celle qu'a l'enfant, qui n'est pas encore corrompu par le langage (infans, en latin, signifie qui ne parle pas). En effet, Yves Bonnefoy combat le concept et l'abstraction qui séparent selon lui les hommes de la réalité et du sensible. Il s'oppose à Platon et à sa théorie du monde des Idées: « les choses d'ici [pèsent] plus lourd dans la tête de l'homme que les parfaites Idées » en posant la théorie que le concept est un obstacle qui nous empêche de voir le vrai visage de l'être. Les mots et le langage utilisant le concept et brisant l'unité de notre perception du monde, ils trahissent ce qu'ils sont censés exprimer : Bonnefoy les considère ainsi comme des « leurres », des « mensonges ». « Le langage est notre chute, et c'est son emploi même qui est la cause de l'angoisse, c'est-à-dire aussi bien de la violence, qui traverse l'histoire humaine ».
La poésie permet selon lui de renoncer à notre rationalité habituelle et au concept, elle seule peut donc nous rapprocher et nous faire entrevoir la Présence. L'ambiguïté de la thèse du poète est que la poésie elle-même est bâtie sur les mots. Peut-être s'agit-il ainsi uniquement de « l'illusoire encore / Dont nous redessinons sous d'autres traits / Mais irisés du même éclat trompeur / La forme et les ombres qui se resserrent? », peut-être la poésie ne permet-elle pas de reconquérir la présence. Bonnefoy admet cette hypothèse dans son recueil Les planches courbes, où il apparaît clairement que, s'il doute du pouvoir de sa poésie, il porte en celle-ci une grande espérance. Il écrit en 1959, « Je voudrais réunir, je voudrais identifier presque, la poésie et l'espoir », car écrire de la poésie, c'est « rendre le monde au visage de sa présence ».
Le style
Que la poésie se prête au rôle de faire accéder le lecteur au « seuil de la Présence » suppose des conditions. Le nom commun, trop général et conceptuel, est un obstacle à la présence. Pour éviter le leurre des mots, il faut que ceux-ci soient utilisés en poésie à la manière des noms propres ou même comme des prénoms.
Le poète utilise soit des vers libres, soit la forme du poème en prose - à différencier de la prose poétique - qu'il désigne sous le nom spécifique de « récit en rêve ». On remarque, entre autres, des alexandrins non classiques et des hendécasyllabes, et une abondance d'enjambements, de rejets et de contre-rejets. Bonnefoy utilise peu la rime et recherche plutôt des assonances, des allitérations, une musicalité des mots. Il porte un grand interêt au rythme de ses poèmes dont certains peuvent être considérés comme proches de l'iambe Pour lui, « les relations de sonorités, de rythmes, rapprochent les mots d'une façon qui préserve [...] leur qualité matérielle [et] les rapports qui procédaient du concept s'effacent ». L'influence surréaliste donne aux poèmes de Bonnefoy une syntaxe peu classique, caractérisée par de nombreuses ellipses et inversions. On peut aussi remarquer l'utilisation de la parenthèse, qui encadre parfois plusieurs strophes ou la plus grande partie du poème. La plupart des poèmes sont courts ou assez courts. Tous ces éléments contribuent au sentiment de présence: le poème est « Hic et Nunc », ici et maintenant...
Principaux ouvrages
- Du mouvement et de l'immobilité de Douve, poème, Mercure de France, 1953.
- L'Improbable, essais, Mercure de France, 1959.
- Peintures murales de la France gothique, Paul Hartmann, 1954.
- Hier régnant désert, poème, Mercure de France, 1958.
- Rimbaud, Le Seuil, 1961.
- Pierre écrite, poème, Mercure de France, 1964.
- Un rêve fait à Mantoue, essais, Mercure de France, 1967.
- Rome, 1630 : l'horizon du premier baroque, Flammarion, 1970.
- L'Arrière-pays, prose, Genève, Albert Skira, 1972.
- Dans le leurre du seuil, poème, Mercure de France, 1975.
- Le Nuage rouge, essais sur la poétique, Mercure de France, 1977.
- Rue Traversière, récit, Mercure de France, 1977.
- Poèmes, Mercure de France, 1978.
- Entretiens sur la poésie, Neuchâtel, La Baconnière, 1981.
- La Présence et l'Image, Mercure de France, 1983.
- La Poésie et l'Université, Fribourg (Suisse), Éditions universitaires, 1984.
- Ce qui fut sans lumière, poèmes, Mercure de France, 1987.
- Récits en rêve, proses, Mercure de France, 1987.
- Là où retombe la flèche Mercure de France, 1988.
- Une autre époque de l'écriture, Mercure de France, 1988.
- La Vérité de parole, Mercure de France, 1988.
- Sur un sculpteur et des peintres, Plon, 1989.
- Entretiens sur la poésie, nouvelle éd., augmentée, Mercure de France, 1990.
- Début et fin de la neige, Mercure de France, 1991.
- Alberto Giacometti. Biographie d'une uvre, Flammarion, 1991.
- Alechinski, les traversées, Montpellier, Fata Morgana, 1992.
- Rue Traversière et autres récits en rêve, Poésie/Gallimard, 1992.
- L'Improbable et autres essais, nouvelle édition, Folio/Gallimard, 1992.
- La Vie errante, suivi de Une autre époque de l'écriture, Mercure de France, 1993.
- Remarques sur le dessin, Mercure de France, 1993.
- La petite phrase et la longue phrase, TILV, 1994.
- Dessin, couleur et lumière, Mercure de France, 1995.
- La Journée d'Alexandre Hollan, Le Temps qu'il fait, 1995.
- Théâtre et poésie : Shakespeare et Yeats, Mercure de France, 1998.
- Alberto Giacometti, éd. Assouline, 1998.
- Le poète et <>, Bibliothèque nationale de France, 2003
Traductions :
- William Shakespeare, Henri IV (première partie), Jules César, Hamlet, Le Conte d'hiver, Vénus et Adonis, Le viol de Lucrèce, Club Français du Livre, 1951-1961.
- William Shakespeare, Le Roi Lear, Mercure de France, 1965.
- William Shakespeare, Roméo et Juliette, Mercure de France, 1968.
- William Shakespeare, Macbeth, Mercure de France, 1983.
- William Shakespeare, Vénus et Adonis, Le Viol de Lucrèce, Phénix et Colombe, Mercure de France, 1993.
- William Shakespeare, Le Conte d'hiver, Mercure de France, 1994.
- William Shakespeare, XXIV Sonnets de Shakespeare, Les Bibliophiles de France, 1994.
- William Shakespeare, Jules César, Mercure de France, 1995.
- William B. Yeats, Quarante-cinq poèmes de Yeats, suivis de La Résurrection, Hermann, 1989. Poésie/Gallimard, 1993.
- William Shakespeare, La Tempête, Gallimard, 1998.
- Le Théâtre des enfants (2001)
- Le Cœur-espace (2001)
- Les Planches courbes (2001)
LIEU DE LA SALAMANDRE
La salamandre surprise s’immobilise
Et feint la mort.
Tel est le premier pas de la conscience dans les pierres,
Le mythe le plus pur,
Un grand feu traversé, qui est esprit.
La salamandre était à mi-hauteur
Du mur, dans la clarté de nos fenêtres.
Son regard n’était qu’une pierre,
Mais je voyais son cœur battre éternel.
O ma complice et ma pensée, allégorie
De tout ce qui est pur,
Que j’aime qui resserre ainsi son silence
La seule force de joie.
Que j’aime qui s’accorde aux astres par l’inerte
Masse de tout son corps,
Que j’aime qui attend l’heure de sa victoire,
Et qui retient son souffle et tient au sol.
VRAI NOM
« Je nommerai désert ce château que tu fus,
Nuit cette voix, absence ton visage,
Et quand tu tomberas dans la terre stérile
Je nommerai néant l’éclair qui t’a porté.
Mourir est un pays que tu aimais. Je viens
Mais éternellement par tes sombres chemins.
Je détruis ton désir, ta forme, ta mémoire,
Je suis ton ennemi qui n’aura de pitié.
Je te nommerai guerre et je prendrai
Sur toi les libertés de la guerre et j’aurai
Dans mes mains ton visage obscur et traversé,
Dans mon cœur ce pays qu’illumine l’orage. »
L'adieu: Yves BONNEFOY
nous sommes revenus à notre origine.
Ce fut le lieu de l'évidence, mais déchirée.
Les fenêtres mêlaient trop de lumières,
Les escaliers gravissaient trop d'étoiles
Qui sont des arches qui s'effondrent, des gravats,
Le feu semblait brûler dans un autre monde.
Et maintenant des oiseaux volent de chambre en chambre,
Les volets sont tombés, le lit est couvert de pierres,
L'âtre plein de débris du ciel qui vont s'éteindre.
Là nous parlions, le soir, presque à voix basse
A cause des rumeurs des voûtes, là pourtant
Nous formions nos projets : mais une barque,
Chargée de pierres rouges, s'éloignait
Irrésistiblement d'une rive, et l'oubli
Posait déjà sa cendre sur les rêves
Que nous recommencions sans fin, peuplant d'images
Le feu qui a brûlé jusqu'au dernier jour.
Est-il vrai, mon amie,
Qu'il n'y a qu'un seul mot pour désigner
Dans la langue qu'on nomme la poésie
Le soleil du matin et celui du soir,
Un seul le cri de joie et le cri d'angoisse,
Un seul l'amont désert et les coups de haches,
Un seul le lit défait et le ciel d'orage,
Un seul l'enfant qui naît et le dieu mort ?
Oui, je le crois, je veux le croire, mais quelles sont
Ces ombres qui emportent le miroir ?
Et vois, la ronce prend parmi les pierres
Sur la voie d'herbe encore mal frayée
Où se portaient nos pas vers les jeunes arbres.
Il me semble aujourd'hui, ici, que la parole
Est cette auge à demi brisée, dont se répand
A chaque aube de pluie l'eau inutile.
L'herbe et dans l'herbe l'eau qui brille, comme un fleuve.
Tout est toujours à remailler du monde.
Le paradis est épars, je le sais,
C'est la tâche terrestre d'en reconnaître
Les fleurs disséminées dans l'herbe pauvre,
Mais l'ange a disparu, une lumière
Qui ne fut plus soudain que soleil couchant.
Et comme Adam et Ève nous marcherons
Une dernière fois dans le jardin.
Comme Adam le premier regret, comme Ève le premier
Courage nous voudrons et ne voudrons pas
Franchir la porte basse qui s'entrouvre
Là-bas, à l'autre bout des longes, colorée
Comme auguralement d'un dernier rayon.
L'avenir se prend-il dans l'origine
Comme le ciel consent à un miroir courbe,
Pourrons-nous recueillir de cette lumière
Qui a été le miracle d'ici
La semence dans nos mains sombres, pour d'autres flaques
Au secret d'autres champs « barrées de pierres » ?
Certes, le lieu pour vaincre, pour nous vaincre, c'est ici
Dont nous partons, ce soir. Ici sans fin
Comme cette eau qui s'échappe de l'auge.
Le souvenir
<<>>(Yves Bonnefoy : " Ce qui fut sans lumière ")
-:-:-:-:-
Nous regardâmes les arbres toute une heure.
Le soleil attendait, parmi les pierres,
Puis il eut compassion, il étendit
Vers eux, en contrebas dans le ravin,
Nos ombres qui parurent les atteindre
Comme, avançant le bras, on peut toucher
Parfois, dans la distance entre deux êtres,
Un instant du rêve de l’autre, qui va sans fin.
(extrait de « Ce qui fut sans lumière » Les arbres)
Tuesday, October 2, 2007
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